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Médée

© Vincent Pontet (1)

D’après Euripide, traduction Florence Dupont – adaptation et mise en scène Lisaboa Houbrechts – avec la troupe de la Comédie-Française /Salle Richelieu.

Surgissant de la salle, Bakary Sangaré, dit La Nourrice, amorce le récit. Il n’a de Nourrice que le nom, fait fonction de narrateur et sera plutôt, au cours de la pièce, une sorte de témoin prostré et chiffonné face à ce qu’il voit. Première inversion du féminin-masculin. Au centre du plateau, est posé un tissu bleu qui pourrait ressembler à une tente de laquelle émergera Médée en effigie juste après, quand on le montera dans les cintres. Un long, très long cri se fait entendre, laissant penser que l’action se déroule après le sacrifice des enfants et que l’on va remonter le temps.

Apparaît Médée (Séphora Pondi), fille du roi de Colchide et épouse de Jason, à l’opposé de tout archétype. Sur sa robe noire s’écrase un gros cœur rose, illustrant le propos de la metteure en scène : « Médée est pour moi une histoire d’amour », interprétation un peu courte. Prêtresse d’Hécate et descendante du Soleil, mortelle et déesse à la fois, Médée détient des pouvoirs magiques. Certes, par amour elle avait aidé Jason à conquérir la Toison d’or par sa magie, mais elle avait trahi son père et tué son frère avant de s’enfuir avec les Argonautes et de se réfugier en terre corinthienne. Là, Créon les avait accueillis, Jason l’avait épousée, deux enfants étaient nés. Mais les amours avaient tourné et Jason allait convoler en secondes noces avec Creüse, fille de Créon. Dans la tragédie d’Euripide la violence de Médée est au paroxysme et la vengeance s’exprime dans toute sa crudité et son horreur. Bannie de la cité, c’est au cours du délai négocié – un jour – que Médée accomplit ses gestes meurtriers : elle tue le nouvel amour de Jason et emporte Créon dans le même geste, avant d’accomplir, comme châtiment ultime et acte le plus barbare, celui de tuer ses enfants, pour priver le père de leur présence.

Dans ce Médée adapté et mis en scène par Lisaboa Houbrechts, les personnages se succèdent, dans leur singularité : Créon (Didier Sandre) qui, avant de marier sa fille, enjoint Médée de quitter le pays « Je n’arrive pas à te faire confiance. » Le Chœur, synthèse de trois chœurs qui se mélangent, celui de Colchide, de Corinthe et d’Athènes et qui glisse de manière fantomatique dans des costumes raides et peu seyants. Aphrodite, déesse de l’amour en robe rose, (Léa Lopez) rôle ajouté au spectacle pour surligner l’amour-passion de Médée envers Jason, morceaux de textes greffés à la belle traduction de Florence Dupont. Jason, en femme, (Suliane Brahim) brûlante étreinte avec Médée dans un reste de tendresse et fausse réconciliation, seconde inversion du féminin-masculin. Égée, stérile roi d’Athènes (Anna Cervinka) en est la troisième inversion, face à Médée tenant le rôle d’Oracle de Delphes et qui s’engage à le/la rendre fertile. Créüse (même actrice qu’Aphrodite) qui fait un bref passage pour raconter sa mort et celle de Créon.

© Vincent Pontet (2)

L’imagerie proposée ici ne sert guère le propos : les fils à linge où sèchent tee-shirts et pantalons des enfants, démultipliés par leurs ombres sur l’écran orange du fond de scène, n’est qu’un effet plaqué, non exploité donc inutile (lumières de Fabiana Piccioli) ; celle des enfants représentés par deux ballons de couleur noire – ces ballons qu’on nous donnait chez les marchands de chaussures et qui très vite s’envolent – est une idée des plus ridicules, même si l’actrice fait ce qu’elle peut pour faire passer ce mauvais moment dans un simulacre d’accouchement. Les ballons se crèvent, l’un après l’autre, suivis des pleurs d’un bébé qui surgissent, au cas où le public n’aurait pas compris. Le tableau final convoque une sculpture grecque, massive, à moitié détruite et scindée en deux, à la manière de David Bobée, sculpture autour de laquelle le chœur devise. C’est la représentation probable du char céleste au sommet duquel est montée Médée, qui semble s’être absentée, avant de rejoindre Égée à Athènes, dans l’errance sans fin qui l’attend (scénographie de Clémence Bezat). À retenir, un moment de grâce et d’émotion en cette scène finale, le magnifique chant en arménien interprété par Serge Bagdassarian.

© Vincent Pontet (3)

Dans ce traitement de la pièce, dès le départ une musique nous environne qui très vite plafonne et devient bruit de fond (musique originale de Niels Van Heertum). Aucun acteur ne peut donner sa pleine mesure, pas même Médée, figure paradoxale s’il en est, qui derrière son énergie n’est pas vraiment guidée. Les origines camerounaises de Séphora Pondi auraient pu d’autant nous mener dans une vengeance distillée sur les chemins de l’irrationnel, des croyances, de la jeteuse de sorts et de la sorcellerie, sinon à quoi bon choisir l’excellente actrice ?

La lecture proposée par Lisaboa Houbrechts, égérie de la nouvelle scène flamande, est une version très simplifiée de Médée : ses inversions du masculin-féminin sont sans-objet si ce n’est surligner la fin de règne du masculin et prendre Médée comme prototype de la femme trahie et répudiée, victime de ce pouvoir masculin ; diversité sur les plateaux ô combien légitime mais n’est pas Peter Brook qui veut. La metteure en scène coche toutes les cases des clichés d’aujourd’hui, avec effets et artifices. C’est bien décevant !

Brigitte Rémer, le 20 mai 2023

© Vincent Pontet. 1/ Séphora Pondi (Médée), Suliane Brahim (Jason) – 2/ Séphora Pondi (Médée), Léa Lopez (Aphrodite) – 3/ Anna Cervinka (Égée), S. Pondi (Médée) – 4/  Didier Sandre (Créon), Séphora Pondi (Médée).

© Vincent Pontet (4)

Avec la troupe de la Comédie-Française :

Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Suliane Brahim, Didier Sandre, Anna Cervinka, Élissa Alloula, Marina Hands, Séphora Pondi, Léa Lopez et les comédiennes de l’académie de la Comédie-Française, Sandra Bourenane, Yasmine Haller, Ipek Kinay. Dramaturgie : Simon Hatab – scénographie : Clémence Bezat – costumes : Anna Rizza – lumières : Fabiana Piccioli – musique originale : Niels Van Heertum – chants : Jérôme Bertier- son : Jeroen Kenens – travail chorégraphique : Tijen Lawton – maquillages : Céline Regnard – assistanat à la mise en scène : Céline Gaudier -assistanat à la scénographie : Nina Coulais de l’académie de la Comédie-Française – assistanat aux costumes : Clément Desoutter de l’académie de la Comédie-Française.

Du 12 mai au 24 juillet 2023, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette. 75001. Métro Place Colette – spectacle joué en alternance selon le calendrier à consulter sur le site : www.comedie-francaise.fr – tél. : 01 44 58 15 15.